mercredi 13 juin 2012

Québec périphérique : à l'heure du pays rétréci

Les régions périphériques du Québec ont-elles un avenir? Les hommes et les femmes dans les officines du pouvoir à Québec, à Montréal et à Ottawa(1) sont-ils à l'écoute des réalités du monde rural? Existe-t-il une volonté ferme de revitaliser les campagnes? Voici des questions que se pose tout un peuple. Les géographes, les économistes, les sociologues, les historiens et les démographes alimentent leurs travaux de ces inquiétudes. De la peur que le Québec rural soit condamné à une nouvelle devise: moins qu'hier, plus que demain. Un malheur n'arrivant jamais seul, le déclin économique entraîne un exode démographique. Celui-ci provoque à son tour une diminution du poids politique et une plus grande difficulté à attirer les investissements essentiels au redémarrage de l'économie.

À une époque pas si lointaine, le vote des Bas-Laurentiens, des Gaspésiens et des Madelinots faisait la différence à Québec(2). En effet, les libéraux en 1935 et les unionistes en 1944 durent pour une bonne part leur victoire à l'appui de nos régions. En 1935, 19% de la députation de Louis-Alexandre Taschereau provenait du «fief à Jules-A. Brillant(3)». Évidemment, la quantité ne saurait être un gage de qualité. Il faut avouer que la majorité de ces élus étaient députés d'arrière-ban. Mais, que dire d'un Léon Casgrain, d'un Onésime Gagnon ou d'un Hormisdas Langlais si ce n'est qu'ils représentaient l'est du Québec à son apogée?

L'irrésistible déclin (1944-2002)

À l'occasion de la refonte de la carte électorale en 1973, le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie perdirent deux députés. De 10 élus sur 91 en 1944, les députés de l'est du Québec devinrent huit sur 125 lors des élections de 1989. Une municipalité comme Saint-Donat-de-Rimouski, par exemple, suit cette pente descendante. Les Donatiens et les Donatiennes votent pour un individu dont l'influence est limitée par le nombre grandissant de collègues. Ils ont dû quitter la circonscription «phare» de Rimouski pour le modeste comté de Matapédia. Enfin, leur part dans l'ensemble des électeurs rimouskois, puis matapédiens, fléchie de 2,89% en 1944 à 1,99% en 1998.

En l'an 2000, nos quelques élus noyés dans la masse à l'Assemblée nationale furent jugés encore trop nombreux par les fonctionnaires chargés d'appliquer la Loi électorale. La Commission de la représentation électorale, organisme de trois membres présidé par le directeur général des élections (DGEQ), a pour mandat d'adapter à tous les deux scrutins généraux la carte électorale au profil démographique du Québec parce que «chaque vote compte», dit-on.

Pour ce faire, les responsables prennent le total des électeurs de la province en 1998 (5 254 437) et le divisent par les 125 comtés. Ce calcul mathématique donne 42 035 électeurs. Aucune circonscription, à l'exception des Îles-de-la-Madeleine et d'Ungava jouissant d'un statut spécial prévu par la loi, ne devrait avoir en électeurs un nombre supérieur ou inférieur de 25% à 42 035. En somme, la loi fixe alors le nombre idéal d'électeurs par député dans une fourchette comprise entre 31 526 et 52 544(4).

Or, Matane (28 527), Gaspé (29 684), Bonaventure (30 211) et Matapédia (30 993) sont en dessous du seuil minimal(5). Il leur manque au total 6689 électeurs (6). La Commission suggère le 14 décembre 2000 de fondre Matane et Matapédia ensemble et d'étendre les comtés de Gaspé et Bonaventure.

De plus en plus, le Québec est une société rongée par des antagonismes régionaux en matière de développement. Par l'entremise de la démographie, le malaise ébranle le principe d'une représentation politique juste. Pour reprendre la vieille formule du francophobe George Brown, les électeurs des banlieues florissantes de Montréal et de Québec acceptent sans doute difficilement d'avoir la même importance en Chambre que la «morue de Gaspé».

C'est avec cette image que le journaliste montréalais Patrick Lagacé
raille sur son blogue le «droit de vote aux vaches»!
Source: La Presse, 4 octobre 2011(7).

La grogne sévit dans nos campagnes. Profitons-en pour libérer l'énergie créatrice de chacun. Les promoteurs de la Loi 101 affirmaient que l'avenir du Québec repose sur la francisation de Montréal. Eh bien! aujourd'hui, malgré son visage plus francophone que jamais(8), la métropole asphyxie les régions éloignées(9). L'hypothétique Parti des régions de Victor-Lévy Beaulieu, l'Action des patriotes gaspésiens, la résurgence du Rassemblement populaire matapédien en mars 2001, la fondation de l'Union paysanne à Saint-Germain-de-Kamouraska en décembre 2001 et la victoire surprise de l'Action démocratique du Québec dans Saguenay à l'élection complémentaire d'avril 2002 témoignent qu'une partie du Québec ne se retrouve plus dans les partis politiques traditionnels, l'État-providence en crise, la gestion forestière chaotique du gouvernement et le monopole agroindustriel et «mégaporcherique» de l'UPA.

À force d'être exploités pour leurs ressources naturelles et négligés pour le reste, les ruraux sont en voie de bâtir leur propre Québec. La politique est une arme à double tranchant. Mais, pour le relèvement du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, de bons députés sont nécessaires. Si un peuple ne s'administre pas lui-même, d'autres le font à sa place.

Article paru dans Le Soleil, Opinions, vendredi 10 mai 2002, p. A15.

Épilogue

La résistance du milieu n'a fait que repousser l'échéance. À la fin de 2011, après que toutes les circonscriptions de l'Est (sauf Rimouski) aient glissées en dessous du seuil minimal fixé par le DGEQ, une nouvelle carte électorale fut adoptée. Il est ironique que Bruno Jean, professeur au Département sociétés, territoires et développement et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement rural à l'UQAR, ait facilité l'opération en acceptant de siéger à la Commission de la représentation électorale. Résultat: Nos élus ne seront plus que six sur 125 après les prochaines élections. Personne au Québec ne devrait s'en réjouir, car cette montréalisation cache mal le recul général du fait français.

Notes et références

(1) La décroissance de nos régions se répercute aussi sur la scène fédérale, ne l'oublions pas.
(2) Une différence que nous qualifions de «conservatrice».
(3) Toutefois, ce sont les élections générales de 1944 qui furent les plus importantes. Elles instauraient le long règne de l'Union nationale de Maurice Duplessis sur la province.
(4) Si nous prenons le nombre d'électeurs québécois en 2008 (5 738 811) et le divisons par les 125 comtés, nous obtenons 45 910. Les nouveaux seuils minimal et maximal s'élèvent alors à 34 433 et 57 388.
(5) En 2008: Matane (27 977), Gaspé (27 610), Bonaventure (29 066) et Matapédia (29 909).
(6) Le fossé continue à se creuser, car il manquait à ces circonscriptions un total de 23 170 électeurs en 2008. Deux forces jouent contre les régions de l'Est. Traditionnellement, on pointait du doigt l'exode rural. Actuellement, l'accroissement de l'immigration et sa concentration dans la grande région de Montréal semble le facteur déterminant.
(7) Patrick Lagacé, «Le droit de vote aux vaches», La Presse.ca, 4 octobre 2011, [En ligne] www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/201110/04/01-4453941-le-droit-de-vote-aux-vaches.php (Page consultée le 29 août 2015).
(8) La situation s'est détériorée depuis dix ans sur le front linguistique.
(9) Pensons au rapport Higgins, Martin, Raynauld en économie (Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec, Ottawa, Ministère de l'expansion économique régionale, 1970, 365 p.).

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