jeudi 26 juillet 2012

NOUS sommes le Bas-Saint-Laurent

Petite chronique sur un libéralisme hypertrophié

La Commission jeunesse du Bas-Saint-Laurent ex alte le narcissisme dans l'espace public. Créé en 1998, le groupe de pression (lobby) subventionné prétend être «la voix officielle des jeunes de la région». Parce que l'image plus haut vaut bien mille mots/maux, voici mon billet sur la question du libéralisme.

Un ego en liberté
Depuis les débuts de la modernité, il y a au coeur du métier d'historien la volonté de comprendre et d'expliquer le monde ici-bas indépendamment de l'au-delà. De proposer un récit vraisemblable qui rassemble les personnes autour d'une vie sociale ou communautaire dont l'appartenance dépasse le simple cumul des nombrils. Or, je déplore chaque jour dans ma pratique professionnelle qu'au XXIe siècle le «nous» ne parle plus à tous les ego.

L'individualisme - source d'émancipation et d'autonomie - peut générer de la solitude. L'isolement se manifeste de différentes manières. Nous connaissons tous un système de santé à plusieurs vitesses. Presque la moitié des électeurs ne votent plus, en particulier les jeunes. À l'approche des Fêtes de fin d'année, des commerçants de la Gaspésie enregistrèrent une diminution de leurs ventes en raison des achats en ligne et dans les grands centres urbains. Enfin, c'est mûrement réfléchi et sous l'influence des faiseurs d'images, les «communicants», que la Commission jeunesse du Bas-Saint-Laurent (CJBSL), en collaboration avec ses partenaires, lance la campagne de promotion régionale «Je suis le Bas-Saint-Laurent.com».

Ensemble
Soyons clair. Le «Je/Me/Moi» se lève le matin, part travailler et revient exténué chez lui le soir. C'est ENSEMBLE qu'on s'informe aussi bien de la situation alimentaire en Corée du Nord, de l'état de l'économie américaine que de la fluoration de l'eau potable à Mont-Joli. «L'homme est par nature un animal politique», disait Aristote.

Il faut quelque chose de plus qu'une règle de droit garantissant les libertés individuelles pour faire société. Si les pingouins parlent pingouin, les humains ne parlent pas humain! Ils sont porteurs d'une culture que nous voulons francophone en cette terre d'Amérique. Afin de rester vigilant, l'histoire devrait tout naturellement y occuper une place de choix.

C'est consciente de cette haute responsabilité que j'ai effectué «pro bono» un certain nombre de recherches sur mon coin de pays: Saint-Donat-de-Rimouski. Mon engagement de jeunesse me fit rencontrer au fil des ans plusieurs acteurs du développement local. Je suis stupéfaite de constater, après tant de réalisations bénévoles, que le maire et préfet de la MRC de La Mitis, Michel Côté, n'ait jamais tâché de me joindre. Je demeure dans une petite municipalité de 890 habitants. On repassera pour la «solidarité rurale»! Il y a là une forme d'ingratitude que le simple bon sens n'arrive pas à expliquer. «Ça a dû se perdre dans une filière», me lança un jour le directeur-général et secrétaire trésorier, le médiocre Gil Bérubé. Tant vaut le village, tant vaut le pays(1). Dure est la pratique de l'histoire dans une société atomisée où le «nous» se trouve en voie de dissolution. Les identités locale, régionale et nationale s'incarnent pourtant dans un NOUS.


Il me semble que la Commission jeunesse du Bas-Saint-Laurent 
célèbre sans gêne l'individu post-historique réduit au festivisme.
Source: YouTube

Texte remanié d'un article paru dans Le Bas St-Laurent, Rimouski, 18 janvier 2012, p. 6.

Note
(1) «Dans le Québec rural d'autrefois, par exemple, l'attachement à la famille, à la terre, à la foi religieuse, à la langue des ancêtres, à la communauté villageoise, le respect de l'autorité, la fidélité conjugale, la vertu du dévouement et l'esprit de sacrifice constituaient ces facteurs de cohésion interne qui ont permis à cette société de survivre.» Michel Métayer, La philosophie éthique. Enjeux et débats actuels, 3e édition, Saint-Laurent, ERPI, 2008, p. 93. ISBN: 978-2-7613-2324-6. 

L'arroseur arrosé en guise d'épilogue

Ironie du sort, le couperet est tombé sur une CJBSL égotiste en avril 2015 alors que le gouvernement Couillard menait une politique libérale de réduction des structures.

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Les Forums, qu'osse ça donne?

Il est possible de déterminer l'échec ou la réussite des Forums jeunesse, dont faisait partie la CJBSL, en examinant leur capacité à remplir sur le terrain leurs deux principaux mandats. Le premier consiste à stimuler la participation citoyenne et électorale des jeunes de 35 ans et moins. Dans une lettre d'opinion publiée par Le Soleil le 28 avril 2015, d'anciens membres des Forums offraient à ce sujet un portrait flatteur d'eux-mêmes:
  • «Partout, à la grandeur de la province, ils ont travaillé à ce que les jeunes prennent à bras le corps leur rôle de citoyen, à ce qu'ils aillent voter [...]»

À vrai dire, le taux de participation des jeunes aux élections n'a cessé de fléchir après 1999, année de création des Forums. Un communiqué du Directeur général des élections (DGEQ) titrait le 21 octobre 2016: «Au Québec, les jeunes en région votent de moins en moins». Voir l'étude réalisée par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l'Université Laval.

Loin de se reconnaître faillible, nos bureaucrates en herbe ajoutent en parlant de leur deuxième mandat qu'est la gestion de fonds publics:
  • «De réunion en réunion, de conseil d'administration en conseil d'administration, d'année en année, les jeunes bénévoles et employés des forums ont changé leur monde, mais ils se sont aussi changés eux-mêmes. Ils sont aussi devenus de bons administrateurs.»

Pourtant, un an et demi plus tôt (janvier 2014), l'un des signataires de la lettre, François Roussy, avait été perquisitionné par l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Maire de Gaspé entre 2005 et 2013, il fut arrêté le 17 mars 2016, en compagnie de Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté, pour des accusations de complot et d'abus de confiance. Le dossier est actuellement devant les tribunaux.

En conclusion, l'idée de rassembler les jeunes est sans doute excellente. Mais, la rationalité technocratique qui s'empare de ces instances introduit dans le corps social un effroyable bacille. Elle offre à la relève ce que notre époque compte de plus moralement détestable, à savoir un «turbo-LIBÉRAL-isme» devenu fou.

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