samedi 17 février 2018

Entrevue avec Étienne Caron, ancien maire de Saint-Donat-de-Rimouski

Étienne Caron est décédé il y aura bientôt dix ans. Après l'histoire de vie, voici le contenu de notre première rencontre survenue le 2 septembre 2004.

Photo: Capture d'écran


 
Réalisée au 9, avenue de l'Hôtel-de-Ville à Mont-Joli le matin du 2 septembre 2004.

Question (Q): J'aimerais consacrer notre première rencontre au survol de votre carrière. Pourriez-vous d'abord vous présenter?

[L'horloge sonne. Il est 9 h 30.]

Étienne Caron (EC): Je suis né à Saint-Donat en août 1915. J'ai emménagé à Mont-Joli au début des années 1990. Auparavant, j'avais toujours résidé à Saint-Donat, lieu d'origine de mon père, dans le rang des Sept-Lacs(1), au pied du mont Comi.

Q: Votre père était originaire de Saint-Donat...

EC: Oui. Il vit le jour près du rang IV, là où demeure Maurice Pelletier actuellement. Après s'être marié, il s'établit sur la terre de chez nous. Il passa ses dernières années à Luceville.

Quant à moi, je fus maire durant 29 ans. J'entamais ma vingt-neuvième année consécutive.

Étienne Caron en compagnie du ministre Jacques Parizeau en octobre 1978. Photo: Gracieuseté de Martin Desjardins.

Q: Quelles circonstances vous amenèrent en politique municipale?

EC: Bien... J'ai entré tôt en politique. Ils m'ont «mis» conseiller un moment donné. J'ai aimé ça. Saint-Donat a construit l'aqueduc en ce temps-là. Ils ont voulu que je sois maire.

J'ai vu l'évolution de la paroisse. Il y avait des trottoirs de bois et les chemins fermaient l'hiver. Ça s'est développé continuellement. 

En 1955, on a commencé à parler de chemins roulants l'hiver. On a formé des comités de Sainte-Luce à Saint-François-Xavier-des-Hauteurs. La route 298 n'avait alors pas de numéro. Tous n'étaient pas d'accord. Certains manifestaient leur hostilité: «Ça prend juste des fous pour vouloir rouler l'hiver. Ça ne tient pas debout.»

Ils m'ont désigné président du comité de toutes les paroisses. On recevait 125 piastres du mille du gouvernement pour entretenir ça roulant. Comme il n'y en avait pas assez, on a fait une collecte individuelle. Les municipalités pouvaient fournir une petite part, mais pas beaucoup. On allait dans les villes, Mont-Joli et Rimouski. On cherchait à amasser de l'argent. On a eu des grosses chicanes pour ça. On a eu des «contredits».

Q: La voirie constituait la principale responsabilité des municipalités?

EC: Oui. Les routes étaient en corporation. La municipalité s'occupait de ses routes. C'était différent en ce qui concerne les chemins de traverse. Chaque contribuable des rangs devait entretenir la section de la voie publique traversant son lot.

Q: Quelle relation entreteniez-vous avec le gouvernement provincial?

EC: Sous Maurice Duplessis, le cultivateur Alfred Dubé(2) fut député du comté de Rimouski. J'ai eu de très bonnes relations avec eux. Mais il fallait demander, aller chercher des «octrois» (sourire).

Les problèmes municipaux n'étaient pas les mêmes à l'époque. Il y avait des chicanes de voisins entre cultivateurs à propos des fossés de ligne, des clôtures.

Les curés étaient normalement appelés à arbitrer les conflits. Ils jouaient le rôle de thérapeute dans les couples.

Lorsque je devins maire, François Rioux(3) était le curé. Les problèmes de voisinage n'intéressaient guère cet homme à la santé fragile. Pour tout dire, il était débordé. Alors, les citoyens ont commencé à se tourner vers moi.

Il a fallu que je résolve bien du «trouble», des chicanes de ménage entre autres. Il n'y avait pas encore de services sociaux. Par conséquent, toutes ces responsabilités incombaient au maire.

Q: Vous me dites avoir été maire sans interruption.

EC: Le développement du Parc du Mont-Comi fut la période la plus active de ma carrière. La grosse affaire! Toute la région était concernée. J'avais dans la paroisse des «contredits». J'ai exercé le leadership. J'ai fait de mon mieux et réussi pas trop mal.

Q: Vous soutenez qu'il était difficile d'accorder les différents points de vue.

EC: Oui. Il y avait une rivalité entre les deux villes, Mont-Joli et Rimouski, pour le pouvoir. Dans la paroisse, ceux du village n'admettaient pas que seul le versant sud de la montagne se développe. Ils prétendaient que je tirais le développement de mon bord, vers les Sept-Lacs.

Q: Une rivalité...

EC: De la grosse rivalité. Je fus «suivi de près». Je voulais avoir des «octrois» du gouvernement. Certains ne trouvaient pas ça légal. Ils ont fait venir des avocats pour essayer de me prendre en défaut (sourire). Ils ont scruté les livres du Conseil sans rien trouver à me reprocher. J'ai suivi la loi autant que possible (sourire). J'avais un bon avocat, Perreault Casgrain(4). On a franchi ensemble tous les obstacles.

Je fus aussi préfet du comté. Ça me donnait plus d'influence.

Il fallait s'occuper des pauvres. Le gouvernement commençait à offrir de l'aide. L'assistance sociale, l'hospitalisation notamment, passait par le maire. Le maire devait signer la carte.

Q: Les partis politiques avaient-ils une organisation à Saint-Donat?

EC: Oui. Chaque parti avait ses représentants, mais je me tenais à distance de la politique partisane.

Les candidats venaient dans la paroisse faire des discours. Il y avait des assemblées contradictoires à la salle municipale au village. Les candidats se parlaient face à face à tour de rôle.

Q: Beaucoup d'électeurs allaient à ces assemblées?

EC: Oui. La chicane prenait. Ça se battait un peu.

Q: Des femmes y étaient?

EC: Oui, mais surtout des hommes.

Q: Y avait-il des «familles rouges» et des «familles bleues»?

EC: Oui. En période électorale, elles se faisaient des grimaces. Après, ça se passait (sourire).

Certains prétendaient que Duplessis donnait des réfrigérateurs pour gagner des votes, seulement l'électricité ne se rendait pas chez nous!

Le patronage existait et existe encore dans tous les partis.

Q: Le développement du Parc du Mont-Comi se fera plus tard.

EC: Pas beaucoup plus tard. J'ai eu l'idée de développer la montagne vers 1960.

J'étais ami avec des gens de Rimouski, les journalistes Jean-Paul Légaré(5) et Sandy Burgess(6) en particulier. En compagnie de Guy LeBlanc(7), futur député, j'ai vu un plan de la ville de Rimouski fait par un certain Martin, urbaniste de Québec. Il avait inclus le mont Comi dans ça comme parc récréatif. Je me suis dit: «Maudit, il y en a qui pense au mont Comi!». J'ai été élevé tout près, mais on voyait la montagne et ça finissait là. J'ai eu l'idée de travailler pour ça.

La montagne avait du potentiel, mais il a fallu en faire des démarches, des déplacements, avant que ça grouille. J'ai eu des objections. On a formé une corporation. On a pris des options d'achat sur les terres. Les institutions financières ont accepté. On a vendu des parts de 100$. La réaction fut positive. Du travail avait déjà été fait: sentiers de motoneige pour reconnaître les lieux, etc. On a acheté les terrains. Finalement, le centre a ouvert en 1973.

Q: D'après vous, y a-t-il eu d'importants mouvements de population à Saint-Donat?

EC: J'estime que les premiers colons sont arrivés avant 1850-1860. J'avais les procès-verbaux du rang IV de Sainte-Luce, devenu une partie de Saint-Donat. Celui-ci a été verbalisé en 1844. On y trouvait sûrement du monde à ce moment. Les rangs V et VI suivirent en 1855 et 1863 respectivement. Mes grands-parents maternels, du côté des Claveau, se sont mariés à 17 et 18 ans. En 1863, ils ont monté vivre à Saint-Donat près de Sainte-Angèle où demeure Henri Gagnon. Il y avait forcément du monde avant ça. Les familles Bérubé, Hallé, Lévesque, Morisset et Paquet furent pionnières.

Q: D'autres familles se sont ajoutées par la suite.

EC: Oui, de même que d'anciennes ont quitté. J'ai pris des notes. Parmi les premiers conseillers municipaux, peu sont demeurés dans la localité. Benjamin Thiboutot ou Joseph St-Jean, dit Anctil, par exemple, ont disparu.

Mon arrière-grand-père demeurait au rang III de Sainte-Luce. Il est né vers 1817-1818. Je ne pourrais pas dire l'année exacte où il a construit son moulin. Contrairement à ce qui est affirmé dans l'album-souvenir des Sept-Lacs, je calcule que c'était  aux alentours de 1860 et non 1880. C'était à ses débuts un moulin à chasse. Tu connais? On n'employait pas une scie ronde. Ça sciait de haut en bas. Quatre générations de Caron ont exploité ce moulin. Jos Caron a mis fin à ses activités durant le crise de 1929. Il y avait d'autres moulins, notamment au village.

[silence]

Mon grand-père a été maire de Saint-Donat bien avant moi.

Q: Le développement du Mont-Comi est votre plus grand accomplissement.

EC: Oui. C'était une grosse affaire. C'est régional. La montagne a favorisé le relèvement de Saint-Donat. Saint-Gabriel, Sainte-Angèle ou Les Hauteurs ont vu leur population décliner, alors que nous nous sommes maintenus. Je sais que Saint-Donat a déjà eu 1300 habitants, mais c'était à l'époque des grosses familles. Il y avait autrefois 10 ou 15 personnes par maison comparativement à une ou deux aujourd'hui.


Le développement du Mont-Comi a fait beaucoup de bien à Saint-Donat. Auparavant, Saint-Donat paraissait petit. Quand j'étais préfet, certains me disaient: «Ça n'a pas de bon sens d'avoir un préfet venant d'une aussi petite paroisse». Le maire de Saint-Fabien était jaloux un peu... Ce n'était pas gros Saint-Donat! Ça ne valait pas cher! (sourire)

Q: Mais les hommes politiques venaient chez nous. Ils faisaient le déplacement.

EC: Quand je suis devenu maire, on a eu de «bonnes discussions»... J'ai essayé ensuite de calmer la situation. J'évitais d'entrer dans le jeu de mes opposants.

Le Mont-Comi et les chemins d'hiver m'ont occasionné des difficultés. Je me rappelle aussi que les contribuables des rangs ne voulaient pas payer pour les trottoirs du village, ni l'électricité dans les poteaux. L'éclairage des rues suscita des tensions. Il y eut un référendum. Il m'est arrivé, comme conseiller, de voter du même bord que ceux du village. Les gens des rangs m'en ont voulu. 

Devenu maire, j'ai essayé de rassembler tout le monde. J'ai pour mon dire qu'on vit tous ensemble. Mais, je n'ai pas été trop vite. J'ai fait attention de ne pas «échauffer les sangs» (sourire).

[silence]

Dans le temps, les permis de vente d'alcool étaient émis par les municipalités. Quelqu'un demandait l'autorisation d'ouvrir un hôtel. Le curé était évidemment contre. Il avait beau jeu du haut de sa chaire! La population suivait l'opinion du prêtre. Or, je me suis dit [croisement des bras]: «On va bientôt changer de curé. Attendons!» Entre le départ de ce dernier et l'arrivée du nouveau, on a organisé un référendum afin de lever la prohibition (sourire). Ça s'est passé sans que personne n'en ait connaissance! J'approuvais l'idée d'un hôtel.

Les curés ont fait du bien, mais des fois ils étaient un peu sévères. Je n'étais pas homme à les confronter. Ils avaient du mérite. Ils dirigeaient la paroisse au début de ma vie politique. Ils avaient beaucoup de problèmes à régler. Ils ont fait du bien. Ils se sont trompés des fois.

Q: Vous dites que les curés voulaient tout régenter.

EC: C'est la population qui voulait ça! Elle n'avait personne vers qui se confier quand ça allait mal. On allait donc voir le curé. Certains estimaient que le curé n'était pas assez sévère: «Une voisine sort. Elle va à des soirées de danse. Voyez-y, monsieur le curé!»

[L'horloge sonne. Il est 10 heures.]

Q: Il y avait des marchands à Saint-Donat.

EC: Oui.

Q: Avaient-ils de l'influence?

EC: Pas vraiment.


Q: Comment entrevoyez-vous l'avenir de la municipalité?

EC: Je me suis éloigné de la chose.

Parlons des fusions municipales. J'y suis opposé. Chaque paroisse devrait administrer ses affaires. Saint-Donat n'a pas été affecté par le phénomène. On nous a laissé tranquille. Les fusions faites ailleurs étaient excessives. J'accepte que les rangs fusionnent avec le village, mais pas qu'un village agricole fusionne avec une ville-centre. Par exemple, la fusion entre Sainte-Blandine et Rimouski fut, selon moi, une erreur.

Q: Vous êtes opposé à ce genre de fusion pour des motifs identitaires ou économiques? 

EC: Ça coûte cher et on n'est plus maître chez soi. Les fonctionnaires de la ville dirigent tout comme on le voit avec les commissions scolaires. Les fonctionnaires mènent du doigt les élus.

Je regrette que les MRC aient remplacé les Conseils de comté. Ces derniers parvenaient à régler les problèmes entre municipalités. Leur coût de fonctionnement était très bas contrairement aux MRC. En tout cas, «ils» veulent ça de même!

Bien entendu, il faut fusionner certains services. Les temps ont changé...

Q: Y avait-il à Saint-Donat des gens aux idées marginales?

EC: À mon époque, tout le monde était catholique. Aujourd'hui, cela a changé. Mais, dans mon temps, on n'avait pas ce problème-là.

Q: Est-ce que des femmes insistaient pour jouer un rôle public plus important?

EC: Oui, une certaine personne dont je préfère taire le nom. Elle s'infiltrait pas mal! (sourire) Tu en as entendu parler un peu?

Q: Oui, mais c'est plutôt récent. Qu'en était-il autrefois?

EC: Quand j'ai commencé en politique municipale, la condition féminine ressemblait presque à ce qui se passe de nos jours dans le monde musulman. La femme de Pierre Saucier était gérante de la caisse populaire, mais tout était au nom de son mari.

La femme ne portait pas son nom. Mon épouse, c'était «madame Étienne».

J'accepte que la femme soit l'égale de l'homme.

Il y eut de l'amélioration... À l'époque, la famille d'un handicapé physique ou mental était rejetée. Cette famille se voyait rabaissée. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Une grosse amélioration! Les familles visées en avaient déjà assez de supporter leurs malades. Elles auraient dû recevoir la sympathie du monde au lieu de se faire écraser.

Q: Il est tout de même étrange que des personnes aient été exclues dans une petite communauté à la population très homogène.

EC: Des pauvres gens.


Q: La majorité des Donatiens et des Donatiennes devait être pauvre à l'époque.

EC: Oui, mais il y en avait des supérieurs aux autres (sourire).

Le curé avait ses préférences. Les pauvres en arrachaient un peu avec l'abbé Pierre Lebel(8). Toutefois, ce dernier ne refusait jamais un service, et ce, jour et nuit. Il fut curé 25 ans. Il m'a baptisé, puis j'ai grandi avec lui.

Q: Ce curé a exercé longtemps.

EC: C'est lui qui a été à Saint-Donat le plus longtemps. Il y est mort en fonction. Il portait toutes les casquettes: policier, inspecteur... Il voyait à tout. Il pouvait s'immiscer dans les bagarres! Il donnait des coups de pied au derrière (sourire).

Q: Et l'évêque?

EC: Quand Monseigneur venait, on mettait des balises le long du chemin. On était en procession. Monseigneur entrait au presbytère par une porte spéciale. Il y trouvait «sa» chambre. Il passait trois jours dans la paroisse. C'était un événement solennel. Il portait sa mitre et sa crosse. L'évêque partait du presbytère et entrait par la grande porte de l'église avec un dais au-dessus de lui. Il nous bénissait. Nous nous mettions à genou.

Q: Venait-il à chaque année?

EC: Non, à tous les quatre ans. Il confirmait en même temps.

L'évêque avait son trône. Il revêtait ses plus beaux atours. Il fallait accomplir une génuflexion en passant devant lui. C'était quelqu'un!

Q: L'inventaire des ressources naturelles et industrielles(9) effectué pour le compte du ministère des Affaires municipales, de l'industrie et du commerce de la province mentionne qu'un commerçant de Luceville possédait plusieurs fermes à Saint-Donat en 1938.

EC: Il s'agit d'Anselme Côté. Un homme d'affaires que certains détestaient.

Les cultivateurs de Saint-Donat et des environs faisaient des achats à Luceville où s'arrêtait le train. Anselme y commerçait, entre autres, la pomme de terre. Il offrait aussi du crédit.

La situation économique était bonne au cours des années 1920. Toutefois, nombreux furent ceux qui se trouvèrent trop endettés lorsque la Crise éclata. Ils hypothéquèrent leurs biens. Anselme Côté finit ainsi par saisir des fermes.

Le commerçant acquit plusieurs propriétés. C'est d'ailleurs ça qui l'appauvrit. Alors que des gens quittaient, lui devait entretenir les bâtisses, acquitter les taxes municipales. Privé de revenu, il faillit sombrer lui-même dans la misère. Il fut pratiquement obligé de donner ses terres afin de s'en débarrasser.

Des cultivateurs l'ont accusé plutôt à tord. Ils le trouvaient dur, mais il fallait bien qu'il essaie de se faire payer. Mon père lui a emprunté de l'argent lorsqu'il a construit une grange vers 1925. Il l'a remboursé et n'a jamais eu de problème.

J'avais un oncle qui a fait de même à Amqui. Il a pris des terres. Il a fait banqueroute parce qu'elles ne valaient plus rien.

Anselme Côté... On l'appelait «Ti-selme». Il avait plusieurs terres. Il avait quasiment la moitié de la paroisse!

Q: Comment qualifieriez-vous l'évolution des finances municipales?

EC: La municipalité s'endetta lors des travaux d'aqueduc. Il fallut trancher la question par référendum. Saint-Donat avait un surplus accumulé à mon départ. Je me suis fait reprocher de ne pas avoir assez endetté la paroisse. C'était la mode à tous les paliers de gouvernement.

Q: Il devait y avoir dans le passé plus de monde dans les rangs qu'au village.

EC: Oui. Lors de la tenue du référendum sur l'aqueduc, les contribuables des rangs appuyaient le projet et ceux du village y étaient opposés. Le vote n'était pas secret et je présidais le scrutin. Nous devions obtenir une majorité des deux tiers. J'ai réussi avec huit voix en plus. C'est donc que les rangs «pesaient» davantage en fait de population et d'évaluation foncière.


Un seul électeur du village a voté de notre bord. Il ajouta tout bas: «Ne le dites à personne» (sourire). Un autre, qui faisait des affaires avec les rangs, opina: «Je vote l'idée à monsieur le curé». J'ai rétorqué: «Ça ne nous indique pas en faveur de quoi tu te prononces». Finalement, j'ai déduit son intention: «Tu veux voter ''non''». «C'est ça», acquiesça-t-il embarrassé.

Q: Quels services trouvait-on au village? L'église, le bureau de poste...

EC: Il y avait une salle publique. La municipalité ne possédait, par contre, aucun bâtiment. Le bureau du secrétaire se situait dans sa maison. Cela avait l'avantage de ne pas coûter cher.

Q: Où se tenaient les élections provinciales et fédérales?

EC: À l'intérieur de résidences privées.

On discourait sur le perron de l'église, devant la salle ou chez un électeur.

Q: Je suppose que les Donatiens allaient rarement à Mont-Joli ou à Rimouski.

EC: Moins aisément qu'aujourd'hui. Ceux des rangs se rendaient au village pour la messe et à Luceville pour le gros commerce.


Il fallait absolument fréquenter les offices religieux et communier au moins une fois par mois. Nous devions nous lever de bonne heure, puisque l'église était loin de notre demeure. Le curé ne communiait qu'à la basse messe de 7 h. Nous attelions nos chevaux au village chez des parents, des amis. Michaud avait une grande étable rien que pour ça. On allait déjeuner après la basse messe. Le dimanche, nous restions au village pour la grand'messe de 9 h 30. Puis, on revenait chez nous en voiture à cheval. Nous montions les côtes à pied pour ménager l'animal. Parfois, nous n'arrivions à la maison que vers 13 h.

Q: Les Donatiens suivaient les enjeux locaux, tels que l'amélioration des routes ou l'aqueduc, mais s'intéressaient-ils pareillement aux événements nationaux et internationaux? Comment réagirent-ils à la conscription?

EC: Ah oui! La conscription, c'était grave ça!

La police militaire traquait les réfractaires. France Caron, du moulin à scie, fut appelé sous les drapeaux en 14-18. Or, le conscrit refusa de se rapporter. Il se cacha. Des militaires vinrent sur place. Ils s'arrêtèrent au rang VII chez un Bérubé lui demander s'il connaissait l'individu recherché. Il leur indiqua le chemin à prendre avant de se rendre compte des conséquences de son geste. Bérubé prit son cheval, dépassa les militaires au volant d'un «Ford à pédales» et arriva le premier à la maison des Sept-Lacs en avertir les occupants. France Caron eut tout juste le temps de se dérober par la porte d'en arrière. Il se cacha dans les bois d'où la police militaire ne put lui mettre le grappin. France Caron ne fut pas plus chanceux. La grippe espagnole, qui sévit en 1918, le foudroya à la table du chantier où il avait trouvé refuge.

Cette grippe fut une grosse épidémie. Les gens mouraient comme des mouches. Je m'en souviens à peine. J'avais trois ans. On m'a raconté qu'un homme de Saint-Gabriel, un Côté, descendit à Luceville où la grippe frappait. Il demeura quinze jours chez des amis. Il ne découvrit qu'à son retour le décès et l'enterrement de sa femme.

Oui, même si notre monde se plaint, la vie a bien changé...

[silence]

Comme maire, je prenais avis auprès de tous, riches et pauvres. Les personnes réputées non intelligentes étaient parfois de bon conseil. Je ne m'arrêtais pas aux origines, aux apparences, aux préjugés.

Q: Trouvez-vous que Saint-Donat est une municipalité nationaliste?

EC: Ah oui! Trop! Il y a une folie à ça! La séparation... Jean Chrétien dit que le Canada est le meilleur pays au monde. Il a raison. Qui est malheureux? Ceux qui le sont le veulent. Le niveau de vie est élevé. On a tous des automobiles. C'est un paradis comparativement à d'autres endroits. Pourquoi se séparer, se chicaner?

À Saint-Donat, la majorité est pour ça, la séparation, je le sais!

Q: Pourquoi?

EC: Oui! Pourquoi? Je trouve ça terrible. [Pause] Ils enseignent ça dans les écoles. Ils ont fait voter les jeunes du Paul-Hubert au moment des élections pour les «entraîner» à se prononcer à l'âge adulte. C'est sûr qu'ils vont voter pour la séparation. On leur enseigne ça!


Q: Vous semblez informé.

EC: Je pourrais en dire plus, mais ça me fâche pour rien. J'ai 89 ans. Si je veux me rendre à 100 ans, je dois faire attention (sourire).

Q: Quel rôle joua votre épouse? 

EC: Adélaïde m'a bien aidé. Certains jugeaient que ce n'était pas une «femme de cultivateur». Elle avait l'air distingué. Musicienne, elle chantait et jouait du piano. Après s'être mariée avec moi, elle n'a pourtant jamais voulu vendre la terre. Elle s'intéressait à l'exploitation agricole. Si elle n'allait pas à l'étable traire les vaches - je n'avais pas besoin de ça - elle tenait, en revanche, la comptabilité. Elle voyait aux affaires.


On a adopté trois enfants. Lorsque les enfants sont devenus plus grands, elle a commencé à faire l'école.

[L'horloge sonne. Il est 10 h 30.]

Les femmes mariées ne travaillaient pas normalement. La mienne eut des problèmes à cause de ça. Les autres femmes, jalouses, ne l'admettaient pas.

Nous n'avons eu aucune dispute avant que l'un de nos enfants ne soit atteint de schizophrénie. Il est décédé dans un accident. Cela l'a rendu malade. Elle fut atteinte de démence sénile au moins une quinzaine d'années. Sa condition s'est détériorée graduellement. Elle a passé sept ans à l'hôpital.

Elle n'était pas prétentieuse. Je crois, en somme, que les gens de Saint-Donat l'aimaient beaucoup.

Soit dit en passant, elle fut la première femme à assister à la messe sans porter de couvre-chef.

[silence]

Q: Que devrions-nous améliorer à Saint-Donat?

EC: Je ne suis pas au fait de ce qui s'y passe actuellement. Il paraît que les taxes municipales sont élevées, mais le village est bien entretenu.

En tout cas, si tu as besoin de documentation...

Q: Ça devrait aller pour aujourd'hui.

EC: Écrire un livre, c'est tout un travail. Un de mes frères a raconté sa vie et cela l'a «magané pas mal»(10). Faire une autobiographie lorsque tu n'as pas pris de notes, c'est dur. Il se levait la nuit pour enregistrer ses réflexions. Il est mort du coeur... 

Étienne Caron  (1915-2008)
Photo: Gaétan Morissette, L'Avantage, 24 septembre 2004, p. 2.


                                                                                   *

Source: Jean-Paul Légaré, Biographies des figures dominantes: Bas St-Laurent, Gaspésie, Îles-de-la-Madeleine et quelques monographies, Rimouski, Éditions de l'Est du Québec, 1968, p. 98.

Caroline Sarah St-Laurent
Historienne
Rimouski, le 29 janvier 2018.


Références


(1) Raymonde Hallé, Entre deux clochers. Saint-Donat et Saint-Gabriel de Rimouski. Album-souvenir du rang des Sept-Lacs: 133 ans d'histoire 1856-1989, [s.l.]: Éditions des Retrouvailles, 1989, xiii-132 pages. ISBN: 2-9801579-0-2.

(2Québec, Assemblée nationale, «Alfred Dubé (1884-1964)», [En ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/dube-alfred-2965/biographie.html (Page consultée le 9 janvier 2018).

(3) Archidiocèse de Rimouski [En ligne] http://www.dioceserimouski.com/dcd/index.html (Page consultée le 8 janvier 2018).

(4) Québec, Assemblée nationale, «Perreault Casgrain (1898-1981)», [En ligne] http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/casgrain-perreault-2457/biographie.html

(5) Jean-Paul Légaré, «Une exposition revisitée. Le Rimouski de Jean-Paul Légaré», Revue d'histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. XX, no 2 (Juin 1997), p. 3-11. ISSN: 0381-8454 [En ligne] http://semaphore.uqar.ca/625/1/ESTUAIRE_1997_NO-2.pdf (Page consultée le 8 janvier 2018). 

(6) Denis Dion, «Sandy Burgess», Fondation Sandy-Burgess, [En ligne] http://www.fondationsandyburgess.ca/sandy-burgess.html (Page consultée le 10 janvier 2018).

(7) «Louis Guy LeBlanc», Parlement du Canada [En ligne] https://bdp.parl.ca/sites/ParlInfo/default/fr_CA/Personnes/Profil?personId=1409 (Page consultée le 12 janvier 2018).

(8) A.-Cléophas Morin, Dans la Maison du Père. Nécrologie sacerdotale du diocèse de Rimouski 1867-1967, Rimouski , ., 1967, p. 119 [En ligne] http://www.dioceserimouski.com/dcd/index_morin.html (Page consultée le 16 janvier 2018). 

(9) Québec, Inventaire des ressources naturelles et industrielles 1938, Comté municipal de Rimouski, Ministère des Affaires municipales, de l'Industrie et du Commerce, 1938, p. 187-195.  Jean-Marie Gauvreau et al. Inventaire des ressources naturelles et industrielles (section artisanale): comté municipal de Rimouski, Québec, Ministère des Affaires municipales, de l'Industrie et du Commerce, 1938, p. 1, 4-5.

(10) André-Albert Caron, Mémoires: André-Albert raconte..., Québec?, s.n., 1994, 167 p.  

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