mercredi 1 août 2012

Canada/Québec : un traitement équilibré de l'histoire?

Deux nations se faisant la guerre au sein d'un même État.

JOHN GEORGE LAMBTON, COMTE DE DURHAM

La bataille de Hong Kong et le 70e anniversaire du plébiscite du 27 avril 1942: deux poids, deux mesures


Le Réseau de l'information de Radio-Canada (RDI) présenta aux «grands reportages» de 20 heures Pearl Harbor: les États-Unis en guerre (5 et 6 décembre 2011) et Les survivants de la bataille de Hong Kong (8 décembre), deux documentaires commémorant le 70e anniversaire de l'extension de la guerre dans le Pacifique. La Société Radio-Canada (SRC) souligna l'événement sur toutes ses plateformes.

Le second film retient notre attention. Financé avec empressement par le diffuseur public, réalisé en sept mois plutôt que l'année et demie habituelle(1), il fut produit par l'Agence Gaspa de Carleton-sur-Mer, qui a interrogé six vétérans gaspésiens de cet épisode méconnu, volontairement occulté par les autorités, de la Seconde Guerre mondiale.

Les ex-soldats rencontrés sont âgés aujourd'hui de 90 ans environ. Ils furent des quelque 2000 «hommes» - parfois des adolescents de 15-16 ans enrôlés sans vérification - inexpérimentés et embarqués dans le plus grand secret pour Hong Kong. Essentiellement anglophones, ils servirent Mother England dans une bataille perdue d'avance de l'aveu même des Britanniques. Plus du quart des forces canadiennes engagées périrent. Les autres subirent inutilement les atroces conditions de détention nippones durant trois ans et huit mois.

La mémoire comme champ de bataille

Quel intérêt y a-t-il à raconter une défaite canadienne? Nous savons que la haute direction de Radio-Canada (son PDG Hubert Lacroix notamment) souhaite que ses employés anglophones et francophones «travaillent ensemble»(2). Dans ce contexte, il importe peu que cette expédition ait été un échec. Il suffit que le diffuseur public imprime en nous l'idée que c'est «notre» histoire. La manoeuvre a pour but de rapprocher les deux solitudes. Quel est le problème? Dans la lutte antifasciste, les Canadiens français ont toujours eu le mauvais rôle: celui d'ignorants et de lâches. Rien n'est fait afin de présenter le point de vue québécois.

La pratique historienne est plus sérieuse. Elle doit comprendre la volonté des peuples en dehors des élites politico-médiatiques. Or, le Québec s'est prononcé sans équivoque en faveur du volontariat et contre la conscription. À l'instar d'autres petites nations, des pays latino-américains et des États-Unis jusqu'en décembre 1941, les Canadiens français désirèrent rester autant que possible à l'écart du conflit. Lors du plébiscite du 27 avril 1942, 71,2% des Québécois (85% des francophones) refusèrent de délier le gouvernement Mackenzie King de sa promesse faite d'abord aux Canadiens français de ne jamais recourir à la conscription pour service outre-mer. «Un vote de race», selon la formule de l'économiste François-Albert Angers. La mémoire collective québécoise se souvient - pour combien de temps encore avec la réforme scolaire? - que le reste du pays (ROC) finit par imposer sa vision. Le Québec se trouva de nouveau isolé. Si l'unité canadienne pâtit de cette crise, celle du Québec se raffermit(3).

Cultivateurs, ouvriers et notables, de droite comme de gauche, les Canadiens français furent des centaines de milliers à s'objecter à la contrainte, mais le premier ministre du Québec d'alors, Adélard Godbout, s'effaça devant Ottawa. La police militaire pourchassa et tua des «déserteurs». On interna le maire de Montréal, Camillien Houde. La propagande fédérale battit son plein avec un succès mitigé. Sans enlever quoi que ce soit au grand sacrifice des Canadians à Hong Kong, les anticonscriptionnistes - l'immense majorité des nôtres - auront-ils droit aussi à leur documentaire lors du 70e anniversaire du plébiscite? Si tel est le cas, nous devrions déjà le savoir. Le Service des Relations avec l'auditoire de la SRC n'offre aucune réponse. Le diffuseur public, loin de revenir sur son attitude partiale de 1942 qui nourrit le sentiment d'aliénation du Québec(4), préférera-t-il nous informer ce jour-là d'un banal fait divers survenu à Moose Jaw?

Références
(1) Gagné, Gilles, «Documentaire sur la bataille de Hong Kong: six vétérans gaspésiens se souviennent», Le Soleil, 8 décembre 2011 [En ligne] www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/les-regions/201112/07/01-4475650-documentaire-sur-la-bataille-de-hong-kong-six-veterans-gaspesiens-se-souviennent.php (Page consultée le 14 octobre 2015).
(2) Lisée, Jean-François, «Remous à Rad-Can: La société d'État, c'est moi!», L'actualité.com, 1er mars 2012,  [En ligne] http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/remous-a-rad-can-la-societe-detat-cest-moi/11954/ (Page consultée le 24 avril 2012)
(3) Laurendeau, André, La crise de la conscription 1942, Montréal, Éditions du Jour, 1962, 157 p.


Un classique pour comprendre les Canadiens français lors du plébiscite.
(4) Canuel, Alain, «La censure en temps de guerre: Radio-Canada et le plébiscite de 1942», Revue d'histoire de l'Amérique française, volume 52, numéro 2 (automne 1998), p. 217-242, [En ligne] http://id.erudit.org/iderudit/005347ar (Page consultée le 24 avril 2012).

Article paru sur la Tribune libre de Vigile le 27 avril 2012.

Manifestation anticonscriptionniste devant le Séminaire de Rimouski.

Source: Paul Larocque dir., Rimouski depuis ses originesRimouski, 
Société d'histoire du Bas-Saint-Laurent et la Société de généalogie et d'archives de Rimouski, en collaboration avec le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l'Est du Québec, 
2006, p. 225. ISBN: 2920270796.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire